dimanche 19 septembre 2010

Journalisme à la française : une impasse ?

Jeudi dernier, au cours d'un déjeuner avec des collègues du travail, la discussion s'est arrêtée quelques instants sur les tensions actuelles entre le gouvernement et les journalistes. Une opinion semblait particulièrement partagée autour de moi : qu'on approuve ou non les actions de Nicolas Sarkozy et de ses ministres, il ne fallait pas négliger le fait que les journalistes étaient également en faute. Pourquoi ? Parce qu'ils étaient trop orientés, trop prompts à critiquer l'action du gouvernement, en un mot : trop de gauche.

Dans tous vos marchands de journaux

Autant vous le dire, je suis loin de partager cette vision des choses. Je ne suis pas dans les rédactions et je ne connais pas personnellement chaque journaliste du Monde, du Figaro, de TF1, de RTL ou autre. Et, en toute honnêteté, ils peuvent bien avoir l'opinion qu'ils veulent, cela ne me préoccupe pas et je vais vous dire pourquoi.
Lorsque j'ouvre un journal ou que je suis devant mon JT, je ne ressens pas cette partialité, loin de là. L'impression que j'ai, c'est plutôt d'une neutralité molle dans la majeure partie des cas (Marianne faisant exception par exemple). Par "molle", je veux dire que les journalistes ont un peu trop souvent tendance à relater les déclarations et les évènements sans y apporter du sens ou une sorte de "valeur ajoutée". N'est-ce pas la raison pour laquelle la plupart des français ont tant de difficultés à juger de la validité des affirmations voire promesses de campagnes de nos hommes politiques ?

Si ça ne tenait qu'à moi, je préfèrerais encore que les journalistes affichent plus ouvertement leurs opinions. Une fois que vous savez que tel journaliste est plutôt social-démocrate, tel autre libéral, même si son discours est orienté, vous savez à quoi vous en tenir, non ? Sur ce thème, je suis donc complètement en ligne avec Jay Rosen, un spécialiste des médias américains récemment interviewé sur le site du Monde.
C'est bien une vision du journalisme très américaine, voire très anglo-saxonne, complètement à l'opposé de l'idéal journalistique français. De l'autre côté de l'Atlantique et de la Manche, le journaliste affiche ses idées et fait tout pour les défendre, sans hypocrisie. Hélas, j'ai bien peur que cet idéal ait trop de plomb dans l'aile pour qu'on continue à baser le journalisme d'aujourd'hui sur un socle absolu de neutralité.

Sans être obligé d'aller jusque là...

Comment en suis-je venu à vous parler de ces quelques idées ?           
Une rencontre assez fortuite entre cette discussion impromptue entre collègues et ma lecture comics du moment : un recueil d'épisodes parus début 1987, les débuts de la série The Question parue chez DC Comics. Une série particulièrement noire, à la croisée des influences du polar et de la tradition américaine du "vigilante". Centrée autour de Vic Sage, alias Charles Victor Szasz alias le héros la Question, l'histoire est située dans une ville fictionnelle (à l'image de Metropolis ou Gotham City) : Hub City qui se caractérise par sa corruption galopante et le désespoir global qui y règne. Si comme Clark Kent, il est également un journaliste, Vic Sage opère sur les plateaux télé, révélant ses scoops sur les politiques corrompus en prime-time.

Et la Question est justement un héros particulièrement engagé. Il est guidé par son indignation et elle transparait dans ses paroles comme ici : " I'm a journalist by profession. A journalist's task is to tell the truth, tell it long and loud and shrill until people do something about what's wrong…". Je pense qu'on retrouve ici cette vision anglo-saxonne du journalisme dont je vous parlais plus haut : le journaliste doit dire sa vérité et essayer de convaincre ses lecteurs/auditeurs/spectateurs que sa vérité est la vérité.
C'est la lecture de ce passage qui m'a fait me poser toutes ces questions et me demander ce qui me manquait dans le journalisme français aujourd'hui. Marrant ce qu'on peut trouver dans un comics parfois !

Le premier recueil de la série The Question : Zen and Violence édité par DC comics

A vous de me dire ce que vous en pensez, je me demande si je suis le seul à voir les choses ainsi (de ce côté de l'Atlantique en tout cas). Et si cet avant-goût du comics The Question vous a fait envie, sachez que la série est disponible intégralement en recueils (en anglais dans le texte) dans toutes les boutiques spécialisées ou chez les libraires en ligne.

A très bientôt pour un prochain billet.

4 commentaires:

  1. Pour une première explication à cet état de fait, voici un lien expliquant ce qu'il peut advenir à un journaliste qui décide de donner son opinion :

    [url]http://www.acrimed.org/article1540.html[/url]

    Il faut également savoir que les différents articles d'un journal ne sont pas tous destinés à être "neutres". Certains articles, tels les billets d'humeur, les editos et les chroniques sont FAITS pour que le journaliste fasse passer une opinion, qui n'est pas forcément celle de la majorité.

    Autrement, il faut bien l'avouer, le journaliste reste un être humain, et malgré lui, il est forcément subjectif dans ses articles, même s'il cherche la neutralité absolue.

    Car le point de vue "neutre" qu'il donnera sera peut-être celui de la majorité des gens, le seul point de vue "politiquement correct", mais il n'englobera jamais toutes les vérités possibles, tous les angles de vue possibles.

    Donc "neutre" = peut-être "opinion majoritaire", mais sûrement pas "objectivité absolue".

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  2. Le journalisme reste un être humain mais il est également un employé qui cherche à gagner sa vie.

    Pour ma part, je pense que globalement les médias Français tendent vers l'apolitique et le sensationnel... Bref ils font comme dans les autres secteurs commerciaux, ils privilégient la vente à la qualité de leur "produit".
    S'ils écrivent autant sur les propos rapportés contre le gouvernement c'est peut-être parce que cela intéresse suffisamment les gens pour qu'ils continuent à lire leurs quotidiens...

    À propos du pouvoir que détient un journaliste, dernièrement j'ai pu regarder le remake de V (passant à Singapour sur la chaîne principale) et ça se rapproche de ce que je pense des médias : ils ont le pouvoir d'influencer pleinement les tendances politiques.

    Singapour et tant d'autres pays s'en servent afin d'exercer un contrôle permanent sur la conscience populaire.
    En France, on ignore parfois ce pouvoir. Je pense, par exemple, à TF1 qui avait invité un "expert" sur le terrorime international après la prise en otage du ressortissant Français exécuté par la suite.
    Cet "expert" ne cessait de répéter qu'on n'avait aucune chance de gagner contre les terroristes du Maghreb islamiste. Je pense qu'à ce moment il a oublié que les médias peuvent être une forme de propagande et une arme puissante lors des guerres. Si l'on considère que l'on est en guerre contre le terrorisme, alors ce monsieur a bien gentiment "marqué un but" contre son camp...

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  3. (Suite commentaire précédent...)

    Après il y a ceux qui font la part des choses et ceux qui se laissent influencer en bloc...
    Le journaliste ne manipule pas tout le monde non plus.

    En petite conclusion de ma participation déstructurée, existe-t-il une tendance idéale pour les médias ? Est-ce que ceux s'acharnant à diffuser des informations pouvant nuire à une majorité de personnes doivent avoir le droit de s'exprimer ? Est-ce qu'il faudrait un contrôle national des médias ? Européen ? Aucun contrôle ?...

    Je suppose que cela dépend du pays dans lequel on vit, de sa situation, de son histoire, de la culture de son peuple...
    Et de ce qu'on l'on recherche pour notre pays à notre époque: stabilité ? anarchie ? loisirs sans responsabilités ? croissance à tout prix ?

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  4. Merci à tous les deux pour vos commentaires. Plein de bonnes réponses et qui permettent de remettre un peu de "principe de réalité" dans ma vision bisounours des choses.

    Je suis en fait d'accord avec vous, les journaux donnent de toute façon aux gens ce qu'ils attendent car le but est bien de vendre. Si les journaux d'opinion affichée ne sont pas plus nombreux, c'est parce qu'ils ne font pas recette. Ce qui n'empêche pas, comme le dit Fei, de voir les médias tomber parfois dans la propagande et la manipulation sous couvert d'objectivité.

    Personnellement je serais bien pour un contrôle européen des médias. Avoir une agence européenne qui viserait à faire respecter les lois d'indépendance des médias voire des autres contre-pouvoirs. Quitte à s'appuyer sur des associations du type de reporters sans frontières. Ce serait une bonne chose et ça permettrait peut-être de redonner confiance dans les journalistes. Et avec ça, peut-être que les ventes remonteraient et que je pourrais avoir mes petits journaux d'opinions !

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